Page 75 - Recueil Pro Patria 151 à 300
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ernard Bordier est né le 25 septembre 1936 à Compiègne. Il n'a que 8 ans lorsque le
pays se libère de l'étreinte de la barbarie nazie. Après ce moment historique qu'il vit
comme une délivrance, il passe une enfance harmonieuse dans sa ville natale. Ses
instituteurs s'accommodent de son esprit frondeur et font l'éloge de ses dispositions intellectuelles. A l'école
et dans son quartier, Bernard est unanimement apprécié pour sa gaieté et son entrain. Athlète de haut
niveau, il participe à de multiples compétitions avec l'ambition de toujours améliorer ses performances. Il
espère mettre à profit son potentiel sportif pour en faire son métier mais il s'oriente vers des études
professionnelles. Après avoir obtenu un brevet de tourneur fraiseur, il travaille dans une entreprise nationale.
Cependant, il ne renonce pas à sa formation : il obtient un diplôme de dessinateur industriel tout en suivant
des cours du soir et en continuant à fréquenter les stades. Dans la pratique de ses multiples activités, il
développe un solide esprit de camaraderie et le sens de la perfection. Ses employeurs le voient partir à
regret en janvier 1957 : il répond à son ordre d'appel sous les Drapeaux.
Son dynamisme et sa vitalité ne peuvent trouver leur pleine expression que dans les troupes
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aéroportées : Bernard Bordier se porte volontaire pour servir au 1 Bataillon parachutiste de choc. Dès son
arrivée à Calvi, il conduit les missions qui lui sont confiées avec une conscience professionnelle sans faille.
Reconnu pour l'ascendant naturel qu'il exerce sur ses camarades et une énergie peu commune, il est
nommé caporal. Puis, les examens qui marquent l'accès au grade de sergent s'enchaînent mais il les passe
avec une facilité jugée déconcertante. Nommé sergent, en avril 1958, il rejoint son affectation en Afrique du
Nord. Le regard fier, il arpente les rues d'Alger où l'écho des conversations se mêle aux rires dans une
rumeur de fête. La ville aux murs blancs, écrasée d'une lumière aveuglante et parfumée de l'odeur de mille
épices, est animée d'une foule colorée. Rien ne laisse transparaître que le pays est en proie au déchirement.
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A la 4 compagnie du bataillon de choc, le sergent Bordier étonne par son endurance. Même s'il
n'a pas choisi le métier militaire, il le vit comme une aventure quotidienne. En quelques semaines, grâce à
son activité débordante et à son éducation, il reçoit l'adhésion de tous ; mais il ne peut s'épanouir pleinement
que dans l'action collective et c'est avec enthousiasme qu'il prend bientôt les fonctions de chef de groupe
dans une section de parachutistes. Son groupe est installé dans un poste isolé dans la région de Sétif.
Parfaitement aguerris et adaptés au terrain, rompus aux embûches de la vie en campagne, ses
parachutistes patrouillent sans relâche. Au cours de leurs déplacements, ils vont à la rencontre des
populations, leur prêtent assistance et les confortent par leur seule présence. Au cours de ces opérations, le
sergent Bordier s'impose comme un homme de terrain et un chef de groupe exceptionnel. Il apprécie ce style
de vie qui lui donne l'occasion de travailler avec une certaine autonomie, loin du monde, loin des villes, loin
du bruit, pour renseigner de manière permanente et en temps opportun. Parfaitement adapté aux exigences
de ses responsabilités et rayonnant de joie de vivre, il est de ceux que l'on s'arrache tant leur collaboration
constitue un gage de succès. Son esprit d'initiative et l'intelligence avec laquelle il encadre les jeunes
parachutistes sont donnés en référence.
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En octobre 1958, la 4 compagnie reçoit pour mission de contrôler la région de l'Ouarsenis.
Après deux jours d'une marche entrecoupée de bivouacs, elle rejoint le Djebel Et Tnine et s'installe en
postes de combat. La nuit est glaciale : la température chute de 40 degrés. Les heures passent sans autres
mouvements que ceux du petit matin et, au lever du jour, la compagnie s'engage dans un relief rocailleux et
compartimenté. Entre chaque mouvement du terrain, les éléments perdent le contact visuel. Sûr des
initiatives de son sergent, le commandant d'unité a désigné le groupe Bordier pour ouvrir la marche. Vers
midi, les éclaireurs remarquent les traces d'un passage récent sur le sol. Ils en rendent compte mais la
prudence s'impose : ils s'installent face à un point suspect pour couvrir la progression de la compagnie. Les
éléments de tête ont à peine remonté vers la position qu'une longue rafale claque. Un tir de barrage les cloue
au sol. Surpris par le débordement d'une autre section de la compagnie, l'adversaire décroche après vingt
minutes d'un violent combat. Le groupe du sergent Bordier reprend sa progression. Alors que le soleil
décline à l'horizon, il est pris sous les feux d'une nouvelle embuscade. Cette fois, l'accrochage tourne
rapidement à l'avantage des parachutistes. Les rebelles se rendent et le groupe Bordier se rassemble mais
son chef manque à l'appel. Le Djebel semble subitement plongé dans un étrange et lourd silence. Dans un
élan où s'entremêlent la rage et l'émotion, les parachutistes s'effondrent de douleur devant le corps inanimé
de leur chef de groupe.
Sous-officier de devoir, animé d'une grande rigueur morale, Bernard Bordier s'est mis au
service de son pays avec un désintéressement absolu. Porté par la passion, il a donné un éclatant exemple
des vertus du soldat. Sa générosité et son courage ont marqué tous ceux qui ont croisé sa route. Son nom
s'est inscrit dans la cohorte de ceux que la foi dans le pays et le dévouement ont conduit au sacrifice
suprême.