Page 69 - Recueil Pro Patria 151 à 300
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                            oannès  Petit-Male  est  né  le  18  février  1925  à  Décines-Charpier  en  Isère.  Enfant
                            d'agriculteur, il est élevé dans l'amour de la terre et le sens du travail bien fait. Malgré la
                            précarité  de  leur  vie  quotidienne,  ses  parents  l'encouragent  à  poursuivre  ses  études  et
            espèrent  que,  mettant  à  profit  son  énergie  et  sa  vive  intelligence,  leur  fils  s'élèvera  au-dessus  de  leur
            condition.  En  1940,  l'armée  allemande  déferle  sur  la  France  et  le  traumatisme  de  la  défaite  le  marque
                                                                                                            e
            profondément. Quand la zone libre est envahie, Joannès Petit-Male quitte son village natal et rejoint le 49
            régiment d'infanterie qui, dans le sud-ouest, renaît de la clandestinité.
                        Porté  par  la  farouche  volonté  de  participer  à la  Libération  de  son  pays,  il  s'engage,  corps  et
            âme, dans une lutte sourde contre l'occupant. Joannès Petit-Male et ses compagnons multiplient les actions
            de sabotage et imposent à l'adversaire une pression insoutenable. Après la libération du sud-ouest, ils se
                                        ère
            lancent, avec les unités de la 1  Armée, dans une épopée qui les conduit jusqu'en Allemagne.
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                        La  paix  revenue,  le  caporal  Petit-Male  s'engage  au  21   régiment  d'infanterie  coloniale  où  sa
            générosité et sa foi rayonnante sont immédiatement remarquées. "Au fond de son regard ardent, se lisaient
            la sensibilité du cœur et la chaleur de l'âme " se souvient l'un de ceux dont il gagne l'indéfectible amitié. Puis
            il rejoint l'Indochine et ne tarde pas à se manifester par son allant et son esprit d'initiative. En mars 1948, au
            cours  d'une  patrouille,  sa  section  est  prise  sous  un  feu  violent.  Instantanément,  il  met  sa  mitrailleuse  en
            batterie  et  permet  à  ses  camarades  de  se  dégager.  Quelques  jours  plus  tard,  il  parvient  à  déjouer  une
            embuscade puis il entraîne son groupe à la poursuite d'une bande et réussit à la capturer. Cependant, le
            sergent Petit-Male quitte l'Indochine, le cœur meurtri d'une profonde douleur. Dans la nuit du 31 mars 1949,
            aux abords du village d'An Ha Minh, d'ordinaire si paisible et si chaleureux, un terrible roulement d'armes
            automatiques a décimé sa patrouille sans lui laisser le temps de se ressaisir. Miraculeusement épargné, le
            chef de groupe a assisté ses compagnons dans leurs derniers instants alors que les rebelles disparaissaient
            dans l'obscurité.
                        Le 29 novembre 1950, l'Athos II lance ses coups de sirène dans la brume glaciale du port de
            Fusan et se glisse dans une passe encadrée par deux immenses rochers sombres : " les portes de l'enfer ",
            pense  l'un  des  volontaires  du  Bataillon  français  de  l'ONU  en  Corée  que  le  sergent  Petit-Male  a  rejoint.
            Quelques semaines plus tard, trente divisions chinoises, après avoir pris Séoul, concentrent leur offensive
            sur  Wonju.  Dans  des  conditions  climatiques  extrêmes,  le  bataillon  s'installe  dans  le  relief  accidenté  qui
            domine la ville pour donner un coup d'arrêt à l'avancée de l'ennemi. Au cours de ces combats furieux, le
            sergent Petit-Male reçoit l'ordre de s'emparer d'un piton fermement tenu. L'assaut dégénère en lutte au corps
                                                                           er
            à corps et l'objectif est enlevé à la baïonnette. Quand, à l'aube du 1  février, une masse hurlante contre-
            attaque pour reprendre la position, les armes gelées ne répondent plus. L'ennemi est repoussé à coups de
            poings et d'outils individuels jusqu’a ce que, profitant d'une éclaircie, l'aviation ne l'écrase de tous ses feux.
            Le lendemain, le bataillon atteint les hauteurs qui surplombent Chipyong Ni, nœud de communications qui
            commande toute la région. Aussitôt, les Chinois lancent une  multitude d'attaques acharnées qui, pendant
            trois  jours  et  trois  nuits  interminables,  se  brisent  sur  la  ligne  de  défense.  Grièvement  blessé  dans  ces
            affrontements, le sergent  Petit-Male n'accepte son évacuation que sur l'ordre formel de son commandant
            d'unité.
                        Au printemps, le tonnerre d'une nouvelle offensive ennemie éclate. Submergé par la masse de
            ses  assaillants,  le  bataillon  est  d'abord  contraint  de  se  replier.  Puis,  exténué  mais  gardant  intacts  son
            mordant  et  son  énergie,  il  reprend  l'avantage  :  à  force  de  courage  et  d'exploits  individuels, la  bataille  de
            Soyang, commencée comme une catastrophe, s'achève en une victoire retentissante. Les Chinois ont été
            repoussés dans les montagnes du Bol que le massif de Crèvecœur culmine dans la splendeur rouge et or de
            l'automne coréen. Cette fois, l'offensive a changé de camp ; le bataillon parvient à enlever, l'un après l'autre,
            les  points  d'appui  ennemis  puis  la  bataille  s'enlise  dans  un  long  combat  de  tranchées.  Le  26  septembre
            1951,  le  sergent-chef  Petit-Male  s'élance  à  l'assaut  d'une  résistance  solidement  organisée  dans  un
            blockhaus. Le groupe, encouragé et stimulé par son chef, progresse difficilement sur les pentes abruptes et,
            en  une succession d'attaques, parvient à  anéantir l'adversaire. Quelques instants après,  un orage  d'obus
            s'abat sur la position. Joannès Petit-Male a les jambes arrachées. Il ne survit pas à ses blessures.
                        Sous officier généreux et soldat sans faiblesse, le sergent-chef Joannès Petit-Male avait atteint
            la perfection par la manière souriante dont il s'acquittait de ses missions et par ses qualités morales. Il a
            symbolisé jusqu'au sacrifice suprême les traditions de l'Armée française et donné, jusqu'à la limite de ses
            forces, l'exemple du courage et de l'abnégation.
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