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Sous-Officiers de La Marne - 1914
                            n 1914, l’Europe domine le monde. Les grandes puissances rivalisent entre elles et forment
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                            des alliances défensives. L’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie forment la triple alliance
                            ou  Triplice  alors  que  le  Royaume-Uni,  la  France  et  l’Empire  Russe  forment  la  triple
            entente. L’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914 déclenche le jeu des alliances qui débouche sur une guerre
                                                                               er
            européenne puis mondiale. L’Allemagne déclare la guerre à la Russie le 1  août 1914 puis à la France, le 3
            août. La Patrie est à nouveau menacée par l’envahisseur et la volonté d’une revanche après la défaite de
            1870 attise la motivation du peuple français derrière son armée. L’armée française est sous les ordres du
            général Joffre. Quatre millions six cents mille hommes sont mobilisés et s’apprêtent à reprendre l’Alsace et
            la Lorraine au son des musiques militaires et des chants patriotiques. Dans l’esprit de tous, la guerre sera
            courte. Il faut en finir, c’est la « DER des DER », dit-on dans un élan patriotique qui symbolise l’union sacrée.
               Le  plan  Schlieffen  de  l’État-Major  allemand  est  simple  et  brutal.  L’idée  tactique  des  Allemands  est  de
            passer par la Belgique avec comme objectif Paris afin d’anéantir l’armée française en six semaines, prise à
            revers derrière la frontière franco-allemande.
               Septembre 1914, après un mois de guerre, tout semble perdu pour la France : son armée recule jour
            après jour face à l’offensive allemande. Paris est menacé et le gouvernement s’est replié à Bordeaux. Déjà
            les généraux allemands croient tenir la victoire. Mais le général Joffre décide de saisir une dernière chance :
            stopper  les  Allemands  au  niveau  de  La  Marne  et  repousser  l’ennemi  coûte  que  coûte  par  une  contre-
            offensive.
               En rase campagne, on lit la proclamation de Joffre : « Alors que s’engage la bataille dont dépend le salut
            du  pays,  il  importe  de  rappeler  à  tous  que  le  moment  n’est  plus  de  regarder  en  arrière.  Tous  les  efforts
            doivent être employés à attaquer et refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que
            coûte  garder  le  terrain  conquis  et  se  faire  tuer  sur  place  plutôt  que  de  reculer.  Dans  les  circonstances
            actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée. Général Joffre ».
               Le  dimanche  6  septembre,  le  sursaut  de  la  bataille  de  La  Marne  commence  sur  un  front  de  250
            kilomètres, des portes de Paris jusqu’à Verdun. Le dispositif français se décline en cinq armées renforcées
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            du corps expéditionnaire anglais. À l’ouest, la 6  armée de Maunoury défend Paris, au centre la 5  armée de
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            Franchet  d’Esperey,  la  9   armée  de  Foch  et  la  4   armée  de  Langle  de  Cary,  à  l’est  jusqu’à  Verdun,  la
                                                                                e
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            3  armée  de  Sarrail,  les  Anglais  bouclent  le  dispositif  au  sud-est  de  la  6   armée.  Dès  la  veille,  l’armée
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            Maunoury aux ordres du défenseur de Paris, le général Gallieni, contre-attaque le flanc ouest de la 1 armée
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            allemande. Surprise de la forte détermination française, la 1  Armée de Von Kluck se replie brusquement
            pour  tenter  de  contourner  Paris  par  le  nord.  Gallieni  s’en  rend  compte  rapidement,  il  faut  envoyer  des
            renforts au nord de Paris mais tous les moyens ferroviaires ont été engagés pour déplacer les troupes de
            l’est sur le front de La Marne. Il décide de réquisitionner les taxis parisiens pour improviser le premier convoi
            motorisé de l’histoire militaire. Ils se rassemblent devant les Invalides. 400 taxis de Paris et 300 voitures de
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            louage vont transporter en une nuit, le 103  et 104  d’infanterie, soit cinq hommes par voiture à 50 kilomètres
            au nord de Paris. Ils ne seront pas engagés car les Allemands renonceront à tenter de passer par le nord.
            Malgré tout, les taxis de La Marne resteront un symbole fort de la cohésion nationale pour la défense ultime
            de  Paris.  Dans  le  même  temps,  l’armée  de  Foch,  au  centre,  stoppe  l’axe  d’effort  allemand  par  de  durs
            combats sur Mondement et les marais de Saint-Gond. On se bat au corps à corps, baïonnette au canon en
            chargeant  au  son  du  clairon  derrière  le  lieutenant  ou  l’adjudant,  chefs  de  section  d’infanterie.  Les  tirs
            d’artillerie  et  de  mitrailleuses  déciment  les  rangs,  il  faut  se  relever  pour  ceux  qui  sont  encore  vivants  et
            repartir à l’assaut sous le cri du sergent.
               Le 12 septembre, après une semaine de combats acharnés, les Allemands reculent pour se rétablir en
            ligne défensive au niveau de l’Aisne. Ils ne sont pas passés ! Oui, c’est une victoire, une grande victoire. Les
            Allemands ont beau le contester, ils n’en reviennent pas.
               La bataille de La Marne a brisé l’élan du Kaiser et mis en échec le plan Schlieffen. Elle a sauvé la France
            au bord  du  désastre. Le général Joffre a le sourire  pour  la  première fois depuis le début de la guerre, il
            déclare : « Je ne sais pas qui a gagné la bataille de La Marne mais je sais bien qui l’aurait perdu ». Les
            troupes  françaises  sont  anéanties  par  la  fatigue  des  combats  et  ne  pourront  pas  exploiter  cette  contre-
            offensive victorieuse. Les  munitions manquent aussi, les Allemands se sont rétablis sur de solides lignes
            défensives.  La  guerre  de  position  s’engage  au  lendemain  du  miracle  de  La  Marne  et  durera  quatre  ans,
            quatre longues années qu’aucun état-major n’avait prévues. Une guerre d’usure et sinistre dans un décor
            lunaire. Une guerre cruelle, celle des tranchées et de la boue, celle de Verdun et du Chemin des Dames où
            l’ennemi n’est pas seulement l’Allemand mais l’ennui, le froid, la peur, la mort… Ce monstre froid va dévorer
            neuf millions d’hommes à travers toute l’Europe.
               Les sous-officiers de La Marne ont largement contribué à ce sursaut national. Ils viennent de toutes les
            régions de France, sans oublier l’armée d’Afrique et les alliés britanniques. Ce sont nos parents, nos grands-
            parents,  nos  arrières  grands-parents.  Sergents,  sergents-fourriers,  sergents-majors,  adjudants,  adjudants-
            chefs ont combattu du 6 au 12 septembre 1914 pour sauver notre pays. Allant chercher la force d’y croire
            encore, c’est avec dévouement et abnégation qu’ils ont permis cette victoire surprise qui changea le cours
            de l’histoire dans une des pages la plus meurtrière de toute la Première Guerre mondiale.
               Par l’entretien glorieux de leur mémoire, ils méritent très largement d’être pris en exemple par nos jeunes
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            élèves sous-officiers de la 297  promotion de l’École Nationale des Sous-Officiers d’Active.
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