Page 147 - Recueil Pro Patria 151 à 300
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                               uand débute l'année 1953, la guerre d'Indochine se prolonge déjà depuis
                               sept ans. Les forces terrestres d'Extrême-Orient, qui interviennent au Viêt-
                               Nam mais aussi au Laos et au Cambodge, comptent alors 120 000 hommes
                               auxquels  il  faut  ajouter  50  000  soldats  autochtones.  Face  à  ce  corps
            expéditionnaire français commandé par les généraux Salan puis Navarre, et face aux jeunes
            armées  des  Etats  associés  en  cours  de  formation,  le  Viêt-Minh  se  renforce  sans  cesse,
            puissamment aidé par la Chine communiste.

                        En début d'année, les troupes viêt-minh de Giap envahissent le Laos et menacent
            Luang Prabang. Devant la réaction des forces de l'Union Française, l'adversaire doit se retirer
            mais  il  continue  à  exercer  sa  pression  sur  le  delta  du  Tonkin  et  sur  les  hauts  plateaux  du
            centre. Tout en poursuivant les tâches de pacification, le commandement français tente de
            desserrer  l'étreinte  adverse.  Il  mène  les  opérations  «  Toulouse  »  et  «  Camargue  »  en
            débarquant  des  troupes  sur  les  côtes  d'Annam,  l'opération  aéroportée  «  Hirondelle  »  sur
            Langson, les opérations « Brochet » et « Mouette » dans le delta du Tonkin. En fin d'année,
            l'opération « Castor » permet de réoccuper la plaine de Dîen Bîen Phu pour tenter de parer à
            une nouvelle menace viêt-minh sur le Laos.
                        Dans le contexte si particulier de ce conflit lointain où les troupes françaises luttent
            avec des moyens comptés, les sous-officiers du corps expéditionnaire jouent un rôle essentiel.
            L'encadrement restreint des unités les conduit souvent à occuper des fonctions de l'échelon
            hiérarchique  supérieur.  Beaucoup,  s'étant  fait  remarquer  par  leur  allant  et  leur  savoir-faire,
            deviennent ainsi chefs de section ou de peloton. Certains, au sein des maquis créés sur les
            arrières du Viêt-Minh, commandent plusieurs centaines de partisans armés.
                        Ils  sont  nombreux  aussi  à  être  chefs  de  poste,  les  impératifs  de  la  pacification
            nécessitant de multiplier les petits postes au contact des villages et sur les principaux axes de
            communication.  Isolés  du  restant  de  leur  unité,  ces  sous-officiers  chefs  de  poste  doivent
            supporter  tout  le  poids  des  responsabilités.  Vivants  au  milieu  des  autochtones  dont  ils
            assurent  la  sécurité,  ils  seront  tour  à  tour  bâtisseurs,  administrateurs,  organisateurs  de
            marché, d'école ou d'infirmerie, tout en conduisant les patrouilles et les ouvertures de route.

                        Au contact direct des hommes et du terrain, dans la jungle ou en pays de rizières,
            les sous-officiers du corps expéditionnaire doivent multiplier les initiatives et rechercher sans
            cesse les solutions adaptées pour contrer l'adversaire. Qu'ils soient fantassins ou cavaliers,
            artilleurs,  sapeurs,  transmetteurs  ou  du  train,  qu'ils  appartiennent  au  service  de  santé,  du
            matériel  ou  à  l'intendance,  leur  action  personnelle  a  été  déterminante  en  de  multiples
            occasions. Héritiers de Lyautey, ils ont œuvré pour ramener la paix au sein de ces populations
            auxquelles  ils  se  sont  vite  attachés.  L'un  de  ces  sous-officiers,  jeune  sergent  à  l'époque,
            écrivait : « quand le bruit des armes se sera tu, quand la paix à nouveau se sera installée, il
            faudra que nous sachions comprendre, oublier et panser les plaies de ce pays où trop de gens
            ont semé la haine. C'est le seul moyen de ne pas rendre inutile le sacrifice de tous ces morts,
            Français et Annamites ». Peu de temps après avoir écrit ces lignes, ce sergent lui-même était
            tué en opération.
                        En évoquant l'abnégation et l'esprit de sacrifice de tous ces cadres, le général de
            Linarès s'exprimait ainsi, en mai 1953, avant de quitter son commandement au Tonkin :
                        «  Votre  œuvre  m'apparaît  grande  et  belle  car  aucun  désir  de  conquête  ou  de
            privilège  ne  vous  anime.  Vous  ne  vous  battez  pas  pour  vous  mais  pour  ces  jeunesses
            nationales cambodgienne, laotienne, vietnamienne qui mettent toute leur énergie à apprendre
            à vos côtés le rude métier des armes afin de sauver la liberté de leur pays ».

                        Cinquante ans plus tard, il est juste d'honorer la mémoire de ces sous-officiers qui,
            dans les combats de la guerre d'Indochine, ont offert leur vie pour la France et les valeurs
            qu'elle incarne.
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