Page 135 - Recueil Pro Patria 151 à 300
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Q      uand débute l'année 1953, la guerre d'Indochine se prolonge déjà depuis
                                  sept ans. Les forces terrestres d'Extrême-Orient, qui interviennent au Viêt-
                                  Nam  mais  aussi  au  Laos  et  au  Cambodge,  comptent  alors  120  000
                hommes  auxquels  il  faut  ajouter  50  000  soldats  autochtones.  Face  à  ce  corps
                expéditionnaire français commandé par les généraux Salan puis Navarre, et face aux jeunes
                armées  des  Etats  associés  en  cours  de  formation,  le  Viêt-Minh  se  renforce  sans  cesse,
                puissamment aidé par la Chine communiste.
                           En  début  d'année,  les  troupes  viêt-minh  de  Giap  envahissent  le  Laos  et
                menacent Luang Prabang. Devant la réaction des forces de l'Union Française, l'adversaire
                doit se retirer mais il continue à exercer sa pression sur le delta du Tonkin et sur les hauts
                plateaux  du  centre.  Tout  en  poursuivant  les  tâches  de  pacification,  le  commandement
                français  tente  de  desserrer  l'étreinte  adverse.  Il  mène  les  opérations  «  Toulouse  »  et  «
                Camargue  »  en  débarquant  des  troupes  sur  les  côtes  d'Annam,  l'opération  aéroportée  «
                Hirondelle » sur Langson, les opérations « Brochet » et « Mouette » dans le delta du Tonkin.
                En fin d'année, l'opération « Castor » permet de réoccuper la plaine de Dîen Bîen Phu pour
                tenter de parer à une nouvelle menace viêt-minh sur le Laos.

                           Dans  le  contexte  si  particulier  de  ce  conflit  lointain  où  les  troupes  françaises
                luttent avec des moyens comptés, les sous-officiers du corps expéditionnaire jouent un rôle
                essentiel. L'encadrement restreint des unités les conduit souvent à occuper des fonctions de
                l'échelon  hiérarchique  supérieur.  Beaucoup,  s'étant  fait  remarquer  par  leur  allant  et  leur
                savoir-faire, deviennent ainsi chefs de section ou de peloton. Certains, au sein des maquis
                créés sur les arrières du Viêt-Minh, commandent plusieurs centaines de partisans armés.

                           Ils sont nombreux aussi à être chefs de poste, les impératifs de la pacification
                nécessitant de multiplier les petits postes au contact des villages et sur les principaux axes
                de communication. Isolés du restant de leur unité, ces sous-officiers chefs de poste doivent
                supporter  tout  le  poids  des  responsabilités.  Vivants  au  milieu  des  autochtones  dont  ils
                assurent  la  sécurité,  ils  seront  tour  à  tour  bâtisseurs,  administrateurs,  organisateurs  de
                marché, d'école ou d'infirmerie, tout en conduisant les patrouilles et les ouvertures de route.

                           Au  contact  direct  des  hommes  et  du  terrain,  dans  la  jungle  ou  en  pays  de
                rizières,  les  sous-officiers  du  corps  expéditionnaire  doivent  multiplier  les  initiatives  et
                rechercher  sans  cesse  les  solutions  adaptées  pour  contrer  l'adversaire.  Qu'ils  soient
                fantassins ou cavaliers, artilleurs, sapeurs, transmetteurs ou du train, qu'ils appartiennent au
                service de santé, du matériel ou à l'intendance, leur action personnelle a été déterminante
                en de multiples occasions. Héritiers de Lyautey, ils ont œuvré pour ramener la paix au sein
                de  ces  populations  auxquelles  ils  se  sont  vite  attachés.  L'un  de  ces  sous-officiers,  jeune
                sergent à l'époque, écrivait : « quand le bruit des armes se sera tu, quand la paix à nouveau
                se sera installée, il faudra que nous sachions comprendre, oublier et panser les plaies de ce
                pays où trop de gens ont semé la haine. C'est le seul moyen de ne pas rendre inutile le
                sacrifice de tous ces morts, Français et Annamites ». Peu de temps après avoir écrit ces
                lignes, ce sergent lui-même était tué en opération.

                           En évoquant l'abnégation et l'esprit de sacrifice de tous ces cadres, le général de
                Linarès s'exprimait ainsi, en mai 1953, avant de quitter son commandement au Tonkin :

                           « Votre œuvre m'apparaît grande et belle car  aucun désir de conquête ou de
                privilège  ne  vous  anime.  Vous  ne  vous  battez  pas  pour  vous  mais  pour  ces  jeunesses
                nationales  cambodgienne,  laotienne,  vietnamienne  qui  mettent  toute  leur  énergie  à
                apprendre à vos côtés le rude métier des armes afin de sauver la liberté de leur pays ».

                           Cinquante ans plus tard, il est juste d'honorer la mémoire de ces sous-officiers
                qui,  dans  les  combats  de  la  guerre  d'Indochine,  ont  offert  leur  vie  pour  la  France  et  les
                valeurs qu'elle incarne.
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